Fredericton, le 19 janvier 2010 – Commentaires du commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick

Le 9 novembre 2009, le Conseil municipal de Dieppe adoptait en première lecture l’arrêté municipal Z-22 qui règlemente la langue de l’affichage commercial extérieur à Dieppe. Il s’agit d’une première au Nouveau-Brunswick; jamais auparavant une municipalité n’avait légiféré en cette matière.

La Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick ne s’applique pas au secteur privé. Par conséquent, l’affichage commercial est exclu de cette loi. Toutefois, le sujet nous intéresse grandement. En effet, il touche à des questions fondamentales qui sont au cœur de la Loi sur les langues officielles et de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques au Nouveau-Brunswick.

À notre avis, il est important que toute réglementation en matière de langue d’affichage soit reconnue comme une mesure qui respecte au plus haut point l’idée d’égalité de nos deux communautés linguistiques. C’est à cette condition qu’elle pourra inspirer d’autres municipalités à agir afin que l’affichage commercial reflète davantage le caractère bilingue de notre province.

L’arrêté

Depuis plusieurs années, la ville de Dieppe déploie des efforts considérables afin que l’affichage commercial reflète davantage sa réalité linguistique. Rappelons que  soixante-quinze pour cent des résidants de Dieppe sont francophones. Ces efforts de sensibilisation ont porté des fruits comme le démontrent les résultats d’une étude menée par le Comité de la promotion du français et du patrimoine à Dieppe. Toutefois, le conseil municipal a jugé préférable d’opter pour la réglementation afin « de favoriser une progression plus directe vers l’égalité d’usage des deux langues officielles » comme l’explique la Ville dans une circulaire qu’elle a fait parvenir aux commerçants dieppois.

L’arrêté Z-22 prévoit que le message ou le contenu de toute nouvelle enseigne extérieure devra être bilingue ou français. L’arrêté ne vise que la description qui apparaît sur l’enseigne, par exemple : magasin de chaussures.  La raison sociale, c’est-à-dire le nom même du commerce, n’est pas visée par l’arrêté. De plus, il ne s’appliquera pas aux enseignes extérieures actuelles à moins qu’elles ne soient modifiées ou déplacées.

Sensibilisation ou réglementation : un même objectif

Si la sensibilisation semble avoir atteint ses limites à Dieppe, cela ne signifie pas qu’elle n’est plus une option viable. Dans d’autres milieux, elle peut être un levier efficace de progrès. À cet égard, il faut souligner l’important projet de l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick. Intitulé Notre paysage linguistique, ce projet repose essentiellement sur une approche de sensibilisation et de mesures incitatives.

Qu’on emploie la sensibilisation ou la réglementation, l’objectif en matière de langue d’affichage est le même : donner au français la place qui lui revient. Et cela n’est pas seulement une question de respect : la vitalité de cette langue en dépend. En effet, il est généralement admis qu’un paysage linguistique où l’anglais domine est un facteur d’assimilation. Et pour cause : la langue anglaise apparaît alors comme la langue dominante, ce qui renforce son effet d’attraction. De plus, l’affichage unilingue anglais indique que le français est une langue secondaire, donc moins pertinente, moins importante. On imagine facilement l’effet dévastateur que cela peut avoir sur un jeune francophone et son identité culturelle. Et que penser des immigrants qui arrivent dans une ville où l’affichage est en anglais seulement? Peut-on s’attendre à ce qu’ils souhaitent apprendre le français?

La vulnérabilité du français en Amérique du Nord n’a pas à être démontrée. L’assimilation, toujours présente, est là pour nous le rappeler. D’ailleurs, la Cour suprême du Canada a reconnu ce fait lorsqu’elle s’est prononcée sur la question de l’affichage il y a quelques années.

Il est intéressant de noter que les francophones et les anglophones n’ont pas la même perception quant à l’avenir de la langue française. Un récent sondage de Continuum Research indique que 55 % des francophones jugent que le futur de la langue française est menacé alors que 22 % seulement des anglophones partagent cette opinion. Ces pourcentages démontrent le besoin de mieux expliquer les défis importants auxquels est confrontée la langue française. Ces données viennent également appuyer le bien-fondé des mesures qui permettront à la communauté francophone d’atteindre cette égalité réelle qui est essentielle à son développement et à son épanouissement.

Égalité et dualité

La première partie de l’arrêté Z-22 est très intéressante, car elle contient plusieurs références à l’égalité des deux communautés linguistiques du Nouveau-Brunswick. On peut donc comprendre la surprise de certains lorsqu’ils ont constaté que l’arrêté prévoit qu’on puisse afficher seulement en français. Ces gens se sont alors posé la question suivante : le français et l’anglais ne sont-ils pas égaux dans notre province?

Selon les renseignements que nous avons obtenus, la possibilité d’afficher en français seulement a pour but de tenir compte des organismes qui offrent leurs services exclusivement en français. On pense ici à un journal ou à une station de radio. Cette option a donc pour but de ne pas forcer les commerces qui servent uniquement une communauté à se bilinguiser.

L’option d’afficher en français seulement à Dieppe semble s’inspirer du cadre juridique (Charte canadienne des droits et libertés, lois, jugements des cours) en matière de promotion et de protection des minorités linguistiques. Il est évident qu’une communauté linguistique minoritaire cherchera à se prévaloir de ces protections légales pour préserver et promouvoir sa langue et sa culture. Il faut aussi soulignerl’apport de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques au Nouveau-Brunswick. Cette loi prévoit que les deux communautés ont droit à des institutions distinctes où peuvent se dérouler des activités culturelles, éducationnelles et sociales.

Nous croyons que la Ville de Dieppe pourrait tenir compte de ces mêmes principes pour permettre l’affichage unilingue anglais dans le cas des commerces ou organismes qui exercent une mission culturelle au sein de la communauté anglophone de Dieppe. On pense ici à un journal local ou à une librairie indépendante. Pareille mesure ne nuirait pas à l’objectif poursuivi par l’arrêté Z-22. De plus, cela démontrerait clairement que la ville de Dieppe ne cherche pas à diminuer le statut de l’anglais ou d’être revancharde envers la communauté anglophone, comme certains l’ont laissé entendre. De ce fait, il serait clair que l’intention est de traiter les deux groupes linguistiques sur le même pied tout en offrant à la communauté francophone un outil important pour son développement et son épanouissement. L’arrêté Z-22 serait ainsi considéré comme une mesure nécessaire dans cette quête d’égalité réelle et pourrait en quelque sorte encourager d’autres municipalités dans la province à traiter de la question de l’affichage commercial de façon plus proactive. Les francophones ailleurs dans la province pourraient alors profiter individuellement et collectivement des bénéfices d’un paysage linguistique où le français et l’anglais sont traités d’une manière égale.

Nous comprenons les objectifs de la Ville de Dieppe en matière de langue d’affichage. Nos commentaires visent à ce que l’arrêté Z-22 atteigne les buts escomptés tout en ajoutant aux efforts de promotion de l’égalité de nos deux langues officielles partout dans la province.

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Pour de plus amples renseignements :
Hugues Beaulieu
Directeur des affaires publiques et de la recherche
Bureau du commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick
506-444-4229 ou 1-888-651-6444