par Michel A. Carrier
Commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick
L’éditorial du Telegraph Journal de samedi dernier m’a stupéfait. Ce qui paraissait, à première vue, être des observations à l’appui de la Grande marche pour l’égalité linguistique s’est avéré le rejet d’un des éléments les plus fondamentaux de notre projet de société aspirant à une véritable égalité pour les deux communautés linguistiques officielles. Cet éditorial présentait la dualité linguistique en éducation, qui est protégée par la Charte canadienne des droits et libertés, comme une pratique fractionnelle empêchant l’égalité réelle.
La dualité linguistique consiste en la nature véritable du Nouveau‑Brunswick, une province ayant deux communautés linguistiques officielles de statut égal. Cette mention figure non seulement dans la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau‑Brunswick, mais aussi dans la Charte canadienne des droits et libertés.
Même si l’anglais et le français ont un statut juridique égal au Nouveau‑Brunswick, il devrait être facile de comprendre qu’ils ne se heurtent pas aux mêmes difficultés en ce qui concerne leur vitalité et leur protection respectives. En Amérique du Nord, la langue française se trouve dans un état constant de fragilité. Sa survie et son développement nécessitent des mesures musclées et convaincantes afin de prévenir l’assimilation, d’où la dualité en éducation, c’est‑à‑dire nos deux réseaux d’écoles publiques. En fait, la Charte canadienne des droits et libertés stipule que chaque collectivité linguistique officielle au Nouveau‑Brunswick a « le droit à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion ».
Nombreux sont ceux qui attribuent à la dualité en éducation le fait de restreindre l’assimilation dans la communauté francophone du Nouveau‑Brunswick. En effet, la dualité de notre système scolaire ne vise pas à diviser les gens, mais plutôt à assurer que les deux communautés linguistiques peuvent se développer pleinement et être véritablement égales.
Le Rapport du Comité sur l’organisation et les frontières des districts scolaires du Nouveau‑Brunswick (1979), dont la publication a précédé la réorganisation des districts scolaires en fonction de la langue, nous fournit un bon éclairage sur la question. En voici un extrait :
« Si l’on essaie d’intégrer deux systèmes dont l’un est plus faible que l’autre, le déséquilibre des rapports bilatéraux fera que le processus d’intégration affaiblira encore la plus faible des deux parties.Elle finira, le cas échéant, par se fondre dans une culture économique, sociale et culturelle peu différente de celle de la partie la plus forte (rapport de l’Organisation de Coopération et de Développement économique portant sur l’examen des politiques nationales d’Éducation au Canada en 1976). »
Aujourd’hui, la langue anglaise est encore plus présente mondialement – et virtuellement –, ce qui engendre davantage de difficultés pour notre communauté francophone. En conséquence, il devrait être clair pour tous que la dualité en éducation est encore plus essentielle. En plus d’être inquiétant, le fait que l’éditorial laisse entendre le contraire pourrait saper tout prochain effort visant à améliorer le dialogue entre nos deux communautés linguistiques.