Ce qui suit est le texte d'un discours que l'auteure Amy Cameron a livré lors d'une conférence du Français pour l'avenir qui a eu lieu récemment à Toronto:
Le français, quand ce n'est pas ta langue maternelle, n'est pas du tout facile. Quand tu es en plein milieu des examens, des rédactions, et quand ton professeur de français demande que tu participes à des conversations forcées avec tes amis anglophones, le français est frustrant. Tu te demandes, pourquoi j'apprends cette langue? J'habite à Toronto. Mes parents sont anglophones. Personne à Starbucks ne parle français!
Le français peut être difficile? J'ai pris des cours de français pendant cinq ans au secondaire, à Jarvis Collegiate. Mais, je vous jure qu'il y a un but. Je suis tellement contente que je n'ai pas lâché mes cours. Le français a changé ma vie – et je n'exagère même pas.
J'avais 17 ans quand j'ai entendu parler d'un lycée canadien en France. L'école, qui, sans surprise, s'appelait « Le Lycée canadien en France », était dans le Sud, près de Nice, dans la petite ville de Beaulieu.
Pour moi, la France était un endroit que je connaissais bien – sur la plage, on pouvait s'étendre au soleil presque nu. On pouvait boire de l'alcool dès l'âge de 16 ans. Les hommes français, la tour Eiffel, l'amour, les promenades romantiques sur les Champs Élysées. C'était décidé ; je partais pour la France !
J'étais assez certaine que mes parents considéreraient comme terrible cette idée de partir en France; mais pour une raison que je ne comprendrai jamais, ils ont accepté de m'envoyer avec plaisir. Et alors, à 18 ans, je me trouvais sur un avion, en route, direction : la France.
Les étudiants du Lycée canadien en France étaient placés dans des familles françaises, pour que nous puissions pratiquer notre français à tout moment. Il fallait que nous mangions un repas, minimum, avec nos nouvelles familles françaises – mais avec nos amis, aux bars, sur la plage et à l'école, on parlait en anglais. Ça ne faisait aucune différence, je pensais, parce que j'étais convaincue j'étais déjà bilingue.
En effet, je pouvais placer une commande chez McDonald comme une parfaite bilingue : « Un hamburger, un Coca Cola et des frites, s'il vous plaît ». Je pouvais lire les noms des rues et des magasins à Montréal – rue Sainte Catherine et Château du Sexe.
Aucun problème. Amy Cameron était bilingue.
Amy Cameron N'ÉTAIT PAS bilingue.
En France, j'habitais dans le petit village de Villefranche. Pendant la première semaine, j'ai décidé qu'il était temps d'acheter une baguette, parce que les baguettes sont françaises et moi, j'étais en France.
En France, on achète les baguettes dans les « boulangeries » – je connaissais bien les boulangeries, parce que j'étais parfaitement bilingue. Ce que je ne savais pas c'est que dans les boulangeries, non seulement on achète des baguettes, mais c'est aussi où les français se rendent pour faire « du gossip ».
Alors me voilà, Amy Cameron, dans la boulangerie, en train d'avoir une longue conversation passionnée avec le boulanger. Je lui explique que le pain canadien n'est pas aussi bon que le pain français – le goût n'est pas aussi délicat, naturel, délicieux. À la fin de mon monologue de cinq ou dix minutes, le boulanger me prie d'arrêter. Il n'a rien compris. Il pense que je suis folle.
La seule chose que le boulanger ait comprise était le mot « préservatifs ».
Voici la raison : Quand « le mot juste » en français m'échappait, je disais le mot en anglais, mais avec un accent français. J'avais du succès avec les mots anglais « automobile », « telephone », « television ». Mais ça marchait moins bien avec le mot « préservatifs ».
J'ai dit « préservatives » plusieurs fois quand je parlais au boulanger.
Heureusement, quelqu'un qui était bel et bien bilingue m'a entendu et m'a interrompu en expliquant que « préservatif » en français veut dire « condom ». Je venais tout juste d'expliquer au boulanger que le pain canadien contenait beaucoup trop de condoms.
Et, à l'école, nous avions tous les mêmes genres d'histoires – un garçon dans ma classe avait demandé à sa madame de lui passer les « nichons » – nipples – au lieu des « cornichons » – pickles. Elle lui a donné une gifle et ce fut la dernière fois qu'ils ont mangé ensemble.
Mon copain ou petit ami, dont j'ai fait la connaissance en France il y a 13 ans, a raconté à un serveur dans un restaurant qu'il n'avait plus faim parce qu'il était plein – en France, ça veut dire enceinte.
Mais après quelques mois, j'ai commencé a mieux m'exprimer. J'ai décidé de rester en France pendant toute l'année – et une deuxième année. J'ai déménagé à Paris. J'ai travaillé dans un restaurant et j'ai décidé d'étudier la mode. Tous mes amis étaient français et je refusais de parler en anglais.
On m'a dit que les deux grands signes qu'une personne est bilingue sont si tu rêves en français et si tu comptes en français. À la fin de mon séjour de deux ans, je rêvais et je comptais en français.
Parler le français et l'utiliser au Canada est un pouvoir de superhéro. C'est une clef magique, un passe-partout. Les portes s'ouvrent, tu découvres de nouvelles cultures, et quand tu retournes au Canada avec ces nouvelles expériences, c'est comme si tu retournais dans un tout nouveau pays.
Quand il a été temps de choisir une université, Montréal était mon premier choix – et alors j'ai passé quatre années à Concordia en arts plastiques, les beaux arts. Il fallait que je trouve un emploi à temps partiel pour que je puisse payer mes matériaux scolaires – peinture, pinceaux et, bien sûr, la bière. On m'a embauché dans un magasin de bricolage ou quincaillerie. Il n'était pas important que je ne connaisse rien des marteaux ou des scies ou des clous, on m'a engagée parce que je pouvais parler français.
En 1995, toujours étudiante au Québec, il y a eu un référendum. Tout à coup notre pays uni, le Canada, risquait d'être divisé en deux. J'avais des amis québécois. J'adore le Québec. J'étais finalement bilingue!
Les débats au sujet d'une société distincte étaient partout durant ce temps. Oui, le Québec est une société unique, mais c'est aussi mon Québec et mon pays. Et j'ai marché dans les rues de Montréal avec des francophones, des anglophones, des Canadiens pour sauver mon pays.
J'ai reçu mon bac en beaux arts et j'ai décidé de déménager au Nouveau Brunswick. Ce n'était pas coûteux d'y vivre. Je pouvais faire ma peinture et, d'ailleurs, c'était bien loin de mes parents, qui habitaient à Toronto.
J'ai trouvé un emploi comme serveuse, mais avec mon salaire modeste, je n'avais pas assez d'argent pour vivre d'une manière confortable.
Ma soeur à suggéré que j'essaie une carrière d'écrivaine – pourquoi pas?
Dans quelques jours je me suis trouvé face à face avec le rédacteur en chef du journal provincial. L'entrevue était pathétique. Je n'avais aucun exemple de mon écriture, et j'avais complètement oublié d'emporter mon curriculum vitae.
Le rédacteur, comme le boulanger, pensait que j'étais complètement folle, mais quand il a appris que je parlais français, tout à changé. Le Nouveau Brunswick est la seule province au Canada qui est officiellement bilingue, et le journal avait besoin d'une journaliste pour travailler au bureau à Moncton, une ville avec une population mi anglophone, mi francophone.
Je n'avais jamais publié un seul mot, mais le rédacteur m'a engagée quand même.
Le français au Nouveau Brunswick est un peu différent : les francophones de cette province sont non pas des Québécois, mais des Acadiens.
Le français qu'on parle en Acadie est un vieux français, plus vieux que le français qu'on parle au Québec. En même temps, les Acadiens utilisent beaucoup plus d'anglicismes. Alors quand je prenais un mot que je ne connaissais pas en français et le remplaçais avec un mot en anglais (mais en utilisant un accent français, bien sûr), les gens l'acceptaient sans question.
Par exemple, j'ai une amie acadienne qui est avocate et complètement bilingue – son père est francophone et sa mère est anglophone. Pour son boulot, mon amie a besoin de voyager dans la Péninsule acadienne. Un jour, elle avait besoin d'essence, et quand était venu le temps de payer, elle a ajouté : « Peux-tu aussi topper up le windshield wash? »
Le français a toujours aidé ma carrière. En 1999, j'ai gagné un prix d'Amnistie internationale pour les histoires que j'ai écrites pendant le Sommet de la Francophonie à Moncton. Quand j'ai travaillé pour la revue Maclean's, à chaque semaine quelqu'un me demandait de l'aider avec une traduction ou une entrevue en français. J'étais une des trois personnes dans le bureau qui étaient bilingues. Une de trois – travaillant pour la soi disant revue nationale du Canada.
Il y a un mois, j'ai vendu le livre que j'ai écrit, Playing With Matches: Misadventures in Dating, en France et au Québec.
Mes expériences en français ont même eu un effet sur mes relations personnelles. J'ai rencontré mon chum en France quand j'avais 18 ans. Dix ans plus tard, lors de notre réunion d'école ici à Toronto, nous nous sommes rencontrés de nouveau, et ça fait trois ans que nous somme ensemble. Mes plus grands amis sont les mêmes personnes que j'ai rencontrées au Québec, au lycée en France et au Nouveau Brunswick. Quand je fais des voyages, je me sers de mon français. Même si je fais des fautes, les gens me respectent plus pour avoir fait l'effort.
Le français continue d'être une clef passe-partout; je n'aurais jamais eu la chance d'être ici avec vous tous si je n'étais pas bilingue.
Si ça vous intéresse? et même si ça ne vous intéresse pas trop, essayez de continuer de parler, pratiquer et apprendre le français. Je comprends que quand vous êtes en plein milieu d'un examen, ou en train de conjuguer le verbe « avoir » au subjonctif, c'est ennuyant.
Mais quand vous êtes au Québec, ou en France, ou que vous rencontrez les membres du groupe de musique Daft Punk, ou que vous êtes à Montréal en train de danser sur une table, vous serez contents d'avoir persisté.
Mon accent est un peu rouillé et ma grammaire n'est pas parfaite, mais j'adore cette langue. J'adore qu'il soit possible de confondre « nichons » et « cornichons ». J'adore l'image d'une baguette pleine de condoms. Et j'adore que je ne ferai jamais de pareilles fautes pour le reste de ma vie.