Le point de vue du commissaire aux langues officielles
du Nouveau-Brunswick, Michel Carrier
La poursuite intentée par le comité Égalité santé en français contre le gouvernement provincial fait couler beaucoup d’encre et cela risque de durer. En effet, ce genre de cause se rend généralement jusqu’en Cour suprême. Ce débat suscite beaucoup d’intérêt et pour cause. Il y est question de droits constitutionnels, d’égalité des deux communautés linguistiques, d’interprétation de lois fondamentales. Pour ma part, je tire déjà deux observations : d’abord, l’ambiguïté qui règne dans ce débat ne sert pas les intérêts de la population; deuxièmement, une attitude timide par rapport à des lois fondamentales nuit à une progression harmonieuse vers une égalité réelle.
Les faits
Le 11 mars 2008, le gouvernement du Nouveau-Brunswick annonce une importante réforme de son système de santé. Un des éléments majeurs de cette réforme est la réduction du nombre de régies régionales de la santé qui passe de huit à deux. La Régie de la santé A regroupe les établissements qui desservent une clientèle majoritairement de langue française. Pour sa part, la Régie de la santé B regroupe les établissements qui desservent une clientèle majoritairement de langue anglaise.
La création de deux régies par le gouvernement provincial semble avoir eu pour but de donner une voix à la communauté francophone dans la gestion des établissements de santé. En effet, dans une entrevue publiée dans un quotidien anglophone le 2 février 2009, le premier ministre, Shawn Graham, déclarait que : « la population acadienne n’accepterait jamais une seule régie bilingue » (notre traduction). Or, les deux nouvelles régies ne sont pas désignées officiellement sur une base linguistique.
J’ai étudié en profondeur la réforme de la santé et, le 31 mars 2008, j’ai communiqué mes commentaires et recommandations au ministre de la Santé. Dans ma lettre, j’ai appuyé la recommandation de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick de désigner la Régie A comme une régie francophone et la Régie B comme une régie anglophone. Par ailleurs, j’ai recommandé des mesures afin d’améliorer la prestation de services de qualité égale dans les deux langues officielles partout dans la province. Le gouvernement a choisi de procéder autrement.
Quand l’ambiguïté nuit au débat
La Loi sur les langues officielles et la Loi reconnaissant les deux communautés linguistiques sont des lois fondamentales : elles définissent notre province et sont donc au cœur de notre identité collective. C’est d’ailleurs pourquoi des éléments de ces deux lois ont été enchâssés dans la Charte canadienne des droits et libertés.
Lorsque l’exposé de la défense du gouvernement dans la cause qui l’oppose à Égalité santé en français a été présenté, plusieurs ont réagi fortement : des aspects de cet exposé furent interprétés comme une négation du principe d’égalité entre les deux communautés linguistiques. Bien qu’à la lecture de tout cet exposé, on trouve des déclarations qui semblent reconnaître l’égalité des deux communautés et les droits constitutionnels, le gouvernement provincial a choisi de ne pas réagir aux allégations de l’autre partie. Réaction normale lors de poursuites judiciaires? Peut-être. Mais ce silence a alimenté une confusion qui n’aide certainement pas les citoyens à comprendre les enjeux du présent débat.
Notre encadrement juridique en matière de droits linguistiques
Le régime de protection des droits linguistiques au Canada s’inscrit dans un contexte de droit international qui protège les minorités ethniques, religieuses et linguistiques. Ce régime de droit reflète et confirme la conviction profonde des Canadiens qu’une véritable démocratie doit assurer l’égalité des chances à tous ses citoyens, y compris ceux des groupes minoritaires. C’est grâce à cette conviction que le droit en matière d’égalité linguistique a évolué au cours des quarante dernières années. Par ailleurs, nous reconnaissons depuis longtemps que la vraie égalité exige plus que de traiter simplement les gens de la même façon. En fait, des services spécialisés ou différents seront souvent nécessaires afin d’assurer une égalité réelle entre les deux groupes linguistiques.
Les conséquences d’une attitude timide dans l’interprétation des droits
Malgré leur importance, la Loi reconnaissant les deux communautés linguistiques et la Loi sur les langues officielles ne sont pas toujours appliquées rigoureusement. Chaque année, mon rapport annuel fait état de manquements importants à la Loi sur les langues officielles. En outre, aucun ministère n’a adopté un plan complet de mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. Pourtant, depuis cinq ans, je recommande pareille mesure afin de progresser davantage vers une égalité réelle de nos deux langues. Comment expliquer cette situation? J’y vois un manque d’engagement gouvernemental quant à l’obligation d’appliquer concrètement et de façon proactive non seulement le contenu, mais aussi l’esprit de ces deux lois fondamentales.
Certes, il y a eu progrès en matière de droits linguistiques au cours des dernières années. Cependant, le gouvernement a trop souvent une interprétation timide, voire limitée de ces droits. Il n’est donc pas surprenant que ses actions en ce domaine prennent souvent la forme de demi-mesures qui donnent bien sûr de demi-résultats. Cette attitude sème le doute dans l’esprit des gens quant à l’engagement du gouvernement et à la possibilité d’atteindre une égalité réelle.
L’ambiguïté et le débat engendrés par la réforme en santé m’apparaissent une conséquence de l’attitude timide du gouvernement provincial quant à l’interprétation de ses obligations légales. Le gouvernement provincial ne doit donc pas se surprendre que les gens aient recours aux tribunaux pour obtenir la pleine portée de leurs droits. Voilà ce qui se produit lorsqu’on n’assume pas le leadership qui nous revient.
Les débats, y compris les débats juridiques, sont au cœur de notre système démocratique. D’ailleurs, ils ont souvent permis une évolution du droit, notamment en matière de langues officielles. Le recours aux tribunaux devrait avoir lieu lorsque toutes les discussions ont eu lieu et qu’il ne semble plus y avoir de place pour une entente. Est-ce le cas dans le domaine de la santé? Peut-être. Ce qui importe maintenant, c’est qu’au cours du débat juridique, la population soit bien renseignée. Cela exige un effort de clarté de la part de tous les intervenants.
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PERSONNE-RESSOURCE : Hugues Beaulieu, directeur des affaires publiques et de la recherche, Bureau du commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, (506) 444-4229, 1 888 651-6444 (sans frais), ou par courriel hugues.beaulieu@gnb.ca.